Episode 8
Blériot plage : le hameau des baraques
L’incrachoire*
L’été le camping c’est charmant mais l’hiver c’est déprimant. L’ambiance n’est pas vraiment à la fête et pourtant dans le lointain, on entend comme un air de musique. Intriguées nos souris se rendirent au lieu de la fête. Là sur la plage de Blériot, on baptise un bateau de pêche. Une sorte de copie du bateau ‘Lorette*’. Son constructeur lui a trouvé le titre original « L’intrépide ». Ce nom fit doucement rire Gabou tout comme les gracieuses majorettes grasses. Un peu moqueur Gabou dit :
- Les gens de chez toi ont un bon coup de fourchette n’est-ce pas ?
- Ch’est vrai, les frites sont plus grasses que les crêpes. Et té n’as rin veu*. Quind in sera dins les Flandes, té verras des géants des Flandes : des lapins énormes.
Les choses ont été bien faites : on a dressé des nappes blanches sur des tables rectangulaires où on peut manger et se rafraîchir à volonté.
Les officiels sont là : le maire a prononcé un beau discours bien applaudi par la populace. Les majorettes ont entamé quelques jeux de jambes et de jongleries au rythme de la fanfare. Puis autour d’un verre, tandis que Guylain drague une majorette lui baratinant qu’il a lui aussi des cousines majorettes dans la profession, Gabou apprend à découvrir les gens d’ici. Les gens sont fier de lui annoncer que le célèbre Jules César a dressé ici son camp le Portius Itus*. Au moment de partir, Gabou appela son ami Guylain en vain. Personne ne savait où il était. La foule se joignit aux recherches. Il faut dire qu’avec le tunnel sous la Manche beaucoup de gens de l’Est viennent ci et là en espérant rejoindre l’Angleterre. Ces gens ne rassurent pas la population locale. Finalement après bien dix minutes de recherche, Guylain sortit de l’Intrépide en compagnie de sa majorette. Sous les applaudissements et les rires grivois, Gabou et Guylain quittèrent la foule. Vu l’heure déjà bien avancée en cette courte journée d’hiver, nos souris restèrent dans le secteur. Se dirigeant vers le camping, la douce mélodie des vagues mêlée à celle de la brise fut interrompue par quelques gros voies de gens qui chahutent dans la rue.
- Tiens, volà un bon troquet. Allons-y nos récauffer, lança Guylain.
- T’es sûr ? Nous devrions peut-être rentrer et nous coucher pour nous lever tôt demain.
- Nan, i nos faut des indiches. Lan-dins, ches lew d’mer*, is ont pit-ête veu quécosse*. Arguette el panniau : « Le brissant », in va passé eune rute soirée.
Sur la porte était inscrit : « Gamin eut mère alle t’attind !!! » ce qui signifie dans un registre courant que cet endroit est interdit aux mineurs. La porte s’ouvrit brusquement laissant passer deux souris qui visiblement ne semblaient pas avoir sucées que des glaçons. L’une bouscula Gabou sans s’excuser et partit en zigzagant dans la nuit.
- Ravise-me commint i calioche ch’ti-lal !, s’extasia Guylain qui semblait plutôt amusé par la situation.
- Caliocher ?
- Ch’est un viux verbe picard qui veut dire « tituber ».
Gabou n’était pas rassuré mais Guylain, tel un habitué des lieux, entra le premier sans hésitation. A peine eurent-ils franchi le seuil de la porte qu’un silence s’abattit. Tous avaient les yeux rivés sur nos intrus. Soudain une voix graveleuse venant tout droit du comptoir brissa ce silence par une aimable interpellation : « Quo qu’is bovent ches d’moselles ? ». Ce trait d’humour graveleux déclancha dans la clientelle l’hilarité générale dont les tonalités particulièrement graves s’additionnèrent pour faire trembler toute la baraque.
« 2 bières s’il vous plaît ! », répondit timidement Gabou. La clientèle pouffa de rire à nouveau.
« Té t’fous mi, ichi in bos du genief pur ! »
Face à cet éventail de choix, nos souris prirent la suggestion du chef c'est-à-dire du genièvre.
Ces marins avaient plus l’air d’assassins qu’ils n’en étaient vraiment. Les langues se déplissèrent lorsque Gabou et Guylain finirent leur verres jusqu’à la dernière goutte. L’un d’entre eux, couvert de tatouages, aborda la conversation :
« Vousautes, j’vos ai jamais veu dins l’coin, quo qui vos amène dins c’miar *? »
Gabou raconta son histoire et sut attendrir ces gens de la mer. En quelque sorte, il était des leurs car c’était un marin, un vrai, en plus breton et échoué de surcroit. Alors bien-sûr, il a fallu trinquer avec tous même avec la grosse Ginette qui en plus fait des gros bisous et en met partout avec son rouge à lèvre. Personne n’avait entendu parlé de sa Nina mais tous connaissaient des Nina dans chaque port du monde ce qui donnait lieu à de grandes discussions passionnées. Gabou en profita pour inventer une histoire loufoques avec une ex-majorette dans un trois mâts : ‘l’intrépides’. Bientôt plus personne dans cet endroit paumé n’avait les idées claires, les prévoyants avaient pris la précausion de s’accrocher par la ceinture au comptoir pour ne pas rouler sous la table comme de vulgaires tonneaux. Quant aux autres, certains parlaient forts pour couvrir ceux qui ronflaient fort, avachis sur un coin de table, le museau baignant dans leur verre. Dans cet atmosphère, personne ne semblait avoir de chez soi, ils étaient tous frères car ils avaient la même mère : la mer du nord. Entre ce vacarme de cris, de rires, de bruits de verres voilà que Guylain se mit à chanter en anlais :
« I am a little mouse et I love the mousse ».
Gabou l’interpelle :
« Tu es saoul mon pauvre ami, rentrons.
- In peut pas, in est in sécurité ichi avec ces gins dal mer. Té n’sais donc pos qu’in est in territeoire inglais ichi.
- Qu’est ce que tu me racontes ?
- Chi ch’est vrai, ches rosbifs, is ont construit un tunnel, 1 million d’fos plus grind qu’un trew d’soris pour nous attaquer. »
Gabou sourit à ces sornettes, il empoigna son ami par l’épaule bien décidé à le ramener au lit. Malheureusement ce fut chose vaine car au bout de quelques mètres, ils roulèrent à terre eux, se calèrent entre quelques touffes d’herbes bien grasses et s’endormirent sans mal.
Dans la nuit noire, la mélodie du vente d’Ecosse* et des vagues n’arrivait pas à cacher le ronflement puissant de deux arsoules*. Au milieu de la nuit, ce vent a grossi la masse nuageuse et la pluie n’a pas tardé à tomber. Alors que Guylain semble imperturbable dans son trou, Gabou, peut-être parce qu’il est en première ligne, sortit de son sommeil et interpella Guylain :
« Guylain, Guylain, réveille-toi, il commence à pleuvoir. »
Ce dernier secoué comme un prunier, les yeux quiquebilles*, balbutia :
- Quoi ?
- Il pleut ; filons à l’abri.
- Pas d’panique, c’n’est qu’une tite pluie.
- Du tout : « Quand le vent du nord tourne à la pluie, ça pisse plus qu'aucune truie. »
Là-dessus, nos souris riant aux larmes, s’épaulèrent et filèrent par le plus court chemin jusqu’au camping.
Aides pour la compréhension :
incrachoire : mal famé
Lorette : Plus vieux bateau traditionnel du nord Pas-de-Calais.
veu : vu
Portius itius : c’est de là que Jules César se serait embarqué avec son armée pour l’Angleterre en l’an 56 avant Jésus Christ. Cette supposition repose sur de fragiles données, mais il est vraisemblable qu’il y eut bien un port comme l’atteste des restes d’anciennes murailles découvertes au 19ème siècle.
lew d’mer : loup de mer quécosse : quelque chose
miar : bordel cangé : changé
arsoule : ivrogne Les yeux quiquebiles : des petits yeux
Vente d’Ecosse : Le vent du Nord-Est qui amène souvent la pluie dans la région.