Banque chtimi : une banque de mots chtis

Episode 9


Episode 9

« le louchet *»

 

Ce matin, nos souris se sont levées tard. Comme dit Guylain « Si té couques à l’heure ed tchien, té peux pos elver à l’heure d’ch’co. » Après un petit-déjeuner silencieux, nos souris firent leur paquetage et reprirent la route vers Calais. Aujourd’hui c’est dimanche et pourqui pourquoi, c’est un jour qui s’annonçe bien triste. Le silence de la campagne ne permettait pas de penser à autre chose que ses petits tracas. Même si le temps se bieucit*, dans le cœur de Gabou de gros nuages sombres lui faisaient naître des idées noires. L’absence de Nina se faisait de plus en plus pesante et Gabou n’osait pas dire que dans deux jours c’était son anniversaire. Guylain se doutait bien que quelque chose clochait et demanda à Gabou ce qui le tracassait. Gabou, tel un chien sans son maître, ne put longtemps cacher sa peine et annonça à Guylain ce qui le rendait si triste. Son compagnon de route regarda dans sa poche et vit quelques pièces qui lui semblèrent subitement un peu lourde à porter.

« On va daller au resto min copain-ye, j’ay ed quo cacher* la grisaille. » Voilà qui était bien parlé, nos souris entrèrent dans le premier restaurant qu’ils croisèrent sans se soucier du standing : Le lion d’or*. Ce nom interloqua quelque peu Gabou ; son ange gardien lui chuchotta de chercher plus loin alors que son démon attitré au contraire, le pria d’entrer et de se remplir sa panse. Effectivement, le cadre somptueux et l’air coincé des serveurs étaient autant de signes d’un restaurant qui n’était pas pour de la condition de souris de la campagne. Mais Guylain candide ne se douta de rien et consomma allégrement carbonades, hochepots et Potjelesch jusqu’à ce que son ventre lui dit « Stop c’est complet !». Phénomène inverse du début de la matinée, Gabou chassa ses nuages noirs  alors que dehors le ciel s’assombrit et un orage d’une extrême  violence s’abattit sur le site. A l’intérieur, bien au chaud, nos petits rois se mirent en purette* et profitèrent pleinement  des plaisirs de la table. Au moment où les joues étaient bien calées*, l’addition fit son apparition. Lorsque Guylain prit connaissance de la somme, sa dernière bouchée semblait avoir du mal à passer. Par contre Gabou n’eut poin de mal à avaler sa dernière gorgée de bon vin dont la consommation non modéré l’avait rendu  vent dessus vent dehors. Comme si ce n’était pas assez, Gabou prit un petit digestif reprenant une formule patoisante que Guylain a passé son temps à dire durant le repas : « Rin ch’est rin, in p’tit séquo cha fait du bin. » Alors Guylain racla sa gorge et dit à mi-voix :

- J’ay pos assez pour payer.

- Comment ?

- J’ai queutch*.

- Queutch ? C'est-à-dire ?

- J’ai pons un chou. I faut filer à l’inglaise.

- Comment, reprit Gabou, nous ne sommes pas des voleurs, il y a certainement une solution !

- Qu’est-c’té veux faire : faire chal vaisselle, faire un numéro ed claquette, canter eune canchon ? »

- Tu ne dis peut-être pas si bien. On va payer en monnaie de souris.

- En monnaie de souris ?

- C’est comme en monnaie de singe mais c’est pour les souris. Qu’est-ce que tu connais comme chanson ?

- In ar'venant d'Marquette.

- Tiens je ne la connais pas ; peux-tu me la fredonner ?

In arvenant d'Marquette; Dominominette, dominomino
In arvenant d'Marquette, Domino

J'ai rincontré Toinette; Dominominette, dominomino
J'ai rincontré Toinette, Domino

C'est eune sacrée maguette; Dominominette, dominomino
C'est eune sacrée maguette, Domino

- C’est bien et ça finit comment ?

- en levrette.

- Ah non, on ne peut pas chanter ça. Tu oublies le standing de ce resto. Tu connais d’autres chansons ?

- Que dins c’genre là : lapourisse, trou la la, In a fondé eune Société ; bref  tout le répertoire des capenoules*.

- C’est cuit. Appelons le garçon et disons lui tout. »

Peu fiers, nos souris appelèrent le garçon et lui annoncèrent la situation. Celui-ci appela immédiatement le directeur qui parut plus qu’embarrassé. Le directeur leur fit la morale, parla d’appeler la police mais voyant qu’il n’avait pas affaire à des malotrus, il chercha à trouver une solution amiable. Alors Gabou dit :

- Voyons, voyons ! J’y suis. Trouvez-moi un accordéon et je vous chanterai tous les classiques bretons : Le loup, le renard et la belette, tri matelod, … 

- Je vous rappelle qu’on est dans le Nord et de plus, je n’ai pas d’accordéon. Vous connaissez peut-être Conon de Béthune* ? 

-Non, je n’ai pas ce plaisir.»

Alors le directeur dit  à Gabou: « Ma femme est aussi Bretonne, alors je vais faire un petit effort. J’ai justement besoin de deux gars comme vous pour repeindre une chambre. Est-ce que le travail vous plaît ? »

Nos souris acceptèrent de bon cœur et pour conclure le pacte, le directeur apporta un gros gâteau d’anniversaire. Toute l’assemblée se leva pour chanter et applaudir Gabou. Ce dernier ému jusqu’aux larmes venait de refaire le plein d’énergie qui lui manquait. Cependant l’après-midi ne se poursuivit ni par une ballade au parc, ni par une partie de cartes mais par un atelier peinture. Mais nos souris qui ne manquent pas de courage et se mirent à l’ouvrage pour réaliser un travail digne de professionnels. Puis les pattes pleines de peinture, ils repartirent sur les chemins du bonheur nordique avec dans leur sac des tartignoles* que le chef cuisinier leur donna.

 

 

Aides pour la compréhension :

Si té couques à l’heure ed tchien, té peux pos elver à l’heure d’ch’co. 

Si tu te couches à l’heure du chien, tu ne peux pas te lever à l’heure du coq.

Sentir le louchet : Cette expression signifie que l’on est épuisé, elle est synonyme  d’être au bout du rouleau 

Le temps se bieucit : le temps devient beau                               cacher : chasser

Le lion d’or : la dune                                         Se mettre en purette : se met à l’aise en enlevant les habits.

Caler les joues  :           faire un bon repas         vent dessus vent dehors : ivre

Rin ch’est rin, in p’tit séquo cha fait du bin : une formule plaisante pour dire qu’on ne serait pas contre un petit verre ou pour simplement dire que l’on se sent bien et que l’on est satisfait.

queutch : littéralement  que la queue

Dans le cochon tout est bon sauf la queue.

Capenoules : groupe patoisant                           Conon de Bethune : trouvère du Nord

Tartignoles : gâteau avec des pommes


20/11/2016
0 Poster un commentaire

Ces blogs de Actualités locales pourraient vous intéresser