Banque chtimi : une banque de mots chtis

Episode 7


Episode 7

Un  départ  pour Sangate qui capote

 

Le ventre bien rempli et le cœur plein d’espoir, nos deux souris retournèrent sur la plage pour entreprendre leur long voyage. Ce binôme est bien organisé : Gabou scrute l’horizon avec des jumelles, quant à Guylain, il guide l’expédition avec sa carte et sa boussole qu’il sait parfaitement utiliser. Gabou qui découvre la beauté du paysage, s’émerveille de la moindre chose qui paraît pourtant très banale aux yeux de Guylain.

« Je commence à bien la connaître cette plage, dit Gabou.

- Non min fiu, i faut puque ed tros fos pour connaîte c’t’plache car ch’est toudis différint.

- Tu as raison, mais dis-moi que veut dire « toudis » ?

- Toudis veut dire « toujours ».

- En tout cas ch’est toudis un plaisir de venir sur cette plache. Regarde-moi cet espace, ces paysages, ces couleurs : c’est magnifique !

- Oui, ej sais tout cha. Té peux dire « plaisi » car dins ch’Nord, in prononche guère ches « r ». In va dire meillew*, cantew. Té comprinds hein ?

- Oui professeu

- Arguette* aussi d’où qu’té posses tes pieds car y a des baches ichi.

- Des quoi ?»

Gabou ne vit pas la flaque d’eau qui se présentait devant lui et y trempa l’une de ses pattes.

« Inutile de me répondre, j’ai deviné ce que c’est une bache. Je suppose que ça porte bonheur ? » dit Gabou à son compagnon de route et tous deux se mirent à rire aux éclats.

« - In va longer l’iau mais i faudra faire attintion ed pos s’faire prinne par ches vagues.

- Bonne idée car je ne tiens pas à être entièrement mouillé et la mer du Nord semble aimer faire des farces aux étrangers.

- Ch’est bin vrai, chal mer t’a bâptisé ch’timi, asteure t’es des nôtes. Si in continue à marcher comme cha, c’seoir in sra à Singatte et d’main seoir à Calais amon Ferni un copen ye*. Té vas vir ch’est un amusette* et pis-ête qu’il a intindu paler d’Nina ? »

- Je te suis les yeux fermés, enfin, ouverts pour voir les baches, les chars à voile…

- Et pis les flobarts*, té vos ch’batiau là-bas, ch’est pons pour ches croisières mais pou l’pêque. Ch’t’aveuc cha que ches pêqueux d’ichi is pêquent l’pichon*. Ce qui est dreule*, ch’est qu’is s’échoutent sur l’sape.

- Ah bon ? Ca me rappelle quand j’étais capitaine.

- Ravise* el ciel i va quer des tchurés ches gambes in l’air*, dépêquons*-nous !

- Je n’ai rien compris qu’est ce que tu dis ?

- In va prinne eune drache, eune trimpure* quo !

- Je ne comprends toujours rien, sois plus clair !

- Ceurs* Gabou, si té n’veux pas être tout fraique*. Allons-nous ahutter* dans les blaukhaus !

Les deux compères coururent à toute vitesse pour se mettre à l’abri. Les dunes regorgent de cachettes qu’il faut parfois partager avec des lapins ou du petit gibier aux humeurs variables envers les souris. Enfin cette petite pause a permis à nos deux loustics de se reposer le temps de l’averse et d’admirer, une fois de plus, le paysage riche et varié. D’un côté les champs de toutes les couleurs qui dessinent des damiers sur les vallons, et de l’autre, le cordon de dunes, de marées et les petits bosquets. Dans cet endroit, les paysages changent comme autant de pages d’un livre. Gabou est sensible à toutes ces beautés mais aussi à son estomac.

« Oh min Diu ! T’es pâlot comme un linche !

- Je n’osais pas le dire mais c’est vrai que je ne me sens pas bien.

- I fait trop vilain pou continuer. Rintrons et nous repartirons demain. »

Nos deux voyageurs attendirent une accalmie pour faire  demi-tour sur Wissant. Sur le retour, Guylain ne sait que dire à son ami alors il lui raconta une petite blague de cafouniette :

« Cafougnette demande au médecin :

- Alors Docteur ? Vos croyez que j'dos m'faire opérer ?

- Ouais, mais ch'est pas grafe ! Ch'n'est qu'inne tiote opération !

- Ouais, mais ch'est toudis imbêtint !

- Acoutez ! Chi vous voulez, vous n'avez qu'à printe un deuxième avis médical !

- Ch'est cha ! J'arviens d'main Docteur ! »

Voilà qui redonna le sourire à Gabou. Arrivée à la maison Guylain fit office de médecin et donna un petit peu de bicarbonate de soude à son ami. Le repas du soir fut plus simple que celui de la veille : une simple soupe au caillou. Gabou ne traîna pas ce soir-là et tout blafard, il alla se coucher de bonne heure. Guylain le regarda et lui dit : « T’inquiète pas, après mate, y a cor in villache. Ché min taïon* qui dijot cha. »

Le lendemain Gabou retrouva ses couleurs et nos deux souris purent dès le petit matin se mettre en chemin. Nos deux compères, qui étaient de grandes pipelettes, ne virent pas le temps passer. Ils ont tellement de choses à apprendre l’un de l’autre. C’est vrai qu’on ne manque pas d’occupations sur le littoral ; il y a toujours quelque chose à faire : un blockhaus à explorer dans la mine d’or, des trésors archéologiques à découvrir à Escalles sans oublier admirer la beauté du paysage et de respirer le bon air iodé et vivifiant de la côte d’Opale. Avec ce vent d’amon* qui siffle dans les oreilles, Gabou croit entendre des chants de sirène.

« Dis-moi Guylain, tu n’entends pas les chants ?

- Quel chant ? In est loin d’Airon-notre-dame*.

Ce paysage n’est pas aussi plat qu’on le croit : il est riche en collines et en plateaux.

« Dis-moi Guylain, si on grimpait en haut du cap Blanc-Nez, on verra peut-être quelque chose d’intéressant ?

- Très bonne iday mais pou grimper in haut dal couplette* cha n’va pos ête dal tarte. »

Puis réfléchissant quelques instants en chatouillant son menton, il dit :

« In va faire dal mouette-stop, ch’est un bon moïen* ed locomotion par ichi. Suis-me ! »

Voilà donc nos compères le pouce en l’air en attendant le prochain vol pour le cap blanc Nez. Une mouette ne tarda pas à se poser et accepta d’emmener nos passagers entre ciel, mer et terre. Cependant malgré plusieurs tours de repérage, ils ne trouvèrent aucun indice à l’horizon. La mouette toute heureuse de servir de petites souris accepta de les emmener jusqu’au camping des Noires Mottes sur les hauteurs de Sangatte. Guylain peu fier de son idée dit :

« In va loger dins ches sanitaires, in s’ra bénache* comme des papes. In pourra prinne une bonne douche et pis après in ira s’faire exploser s’pinche. »

Aussitôt dit, aussitôt fait et voilà nos compères sous la douche. Ils ne restèrent pas longtemps sérieux surtout au moment où apparut la belle mousse épaisse, blanche et odorante : ce fut d’abord des concours de barbes de père-Noël, des moustaches de colonel de régiment avant de devenir des parties de cache-cache et en finissant par des batailles de mousse. Bref on retiendra de ce moment : « Singing in the sanitaire it’s super ! ». Pour l’instant cette expédition a des allures de vacances mais c’est ainsi dans le Nord, toutes les occasions sont bonnes pour s’amuser. Puis les gargouillements signalèrent qu’il était temps d’arrêter les bêtises et qu’il fallait songer à se restaurer.

« Min vinte i groule*, i est timps d’aller s’rimplir s’pinche.

- Excellente idée Guylain, où m’emmènes-tu ?

- A l’baraque à frites, y a rin ed pus pratique.

- La baraque à frites, c’est un restaurant à frites ?

- Oui, y a rin d’tel que frites mayonnaise ichi. Allez dépêque-te ! »

Arrivé sur place, Gabou fut quelque peu surpris de voir une caravane ouverte sur le côté donnant sur la rue. La bonne odeur qui s’y dégageait le mit en appétit.

-  J’te conseille ed prinne eune frite-fricadelle aveuc eune bonne Jupiler.

- Très bien alors deux frites-fricadelles et quatre jupiler ça fera l’affaire. »

Ce repas fut vite englouti, il faut dire que la marche ça creuse. Gabou riait aux éclats pourtant il n’avait pas encore retrouvé sa Nina mais tout simplement le sourire grâce à Guylain.

 

Aides pour la compréhension :

meillew : meilleur                                                                                 cantew : canteur

arguette : regarde                                                                                amusette : bout en train

flobarts : barque à fond plat qu’on trouve sur la côte d’Opale

pichon : poisson                                                                                  dreule : drôle

ravise : vise / regarde

i va quer des tchurés ches gambes in l’air : il va tomber des curés les jambes en l’air.

Expression qui se dit quand la ciel est fort noir et que la pluie est imminente.

dépêquons-nous: dépêchons-nous

trimpure : trempé                                                                                 ceurs : cours  (courir)

fraique : mouillé et non fraîche                                                              ahutter : abriter

Après mate, y a cor in villache : mate : malade   Cette expression veut dire qu’il y en aura d’autre à venir mais que tout finit par s’arrager.                                                                                 taïon : ancètre / grand-parent

vent d’amont : vent d’est

La légende d’Airon-notre-dame : la coque des moines :

Quatre moines de Saint André au bois se rendaient, la veille de Noël, à l'abbaye de Saint Josse pour y célébrer la messe de minuit.La terre était couverte de neige. Ils s'égarèrent et furent engloutis dans cette fontaine, avec le chariot et les quatres chevaux. Les gens crédules ajoutent qu'il suffit de prêter une oreille attentive, durant la nuit de Noël, pour entendre les chants des moines au fond du gouffre.

Couplette : sommet                                                                             moïen : moyen

Bénache : heureux                                                                               grouler : gargouiller

 

 


20/11/2016
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