Banque chtimi : une banque de mots chtis

Episode 5


Episode 5

Mettre le bon an

 

 

Au petit matin, Gabou fut réveillé par quelques mouettes bavardes et par un de ces vents siffleurs qui s’amuse à se faufiler dans les gouttières et claquer les volets battants. Alors contraint et forcé de se lever, il quitta son vieux matelas à ressorts et descendit en cuisine où Guylain s’affairait déjà depuis quelques temps au fourneau.

« Bonjour Guylain. Déjà au travail ?

- Bojour Gabou, bin ouai comme té vos. Avant ed parti, i faut qu’j’aille étrenner.

- Partir ? Etrenner ? Que veux-tu dire ?

- Bin oui, j’pars aveuc ti. Mais avant i m’faut mes étrennes. I nos faudra des doupes* pou el voyache !

- Tu veux dire que tu pars avec moi ?

- Bin ouai, j’ay beson* d’vagances. Chaque ennée, j’vas à Gardincourt, huit jours dins min gardin et huit jours dins m'cour*.

- Comment ? En tout cas, t’es vraiment un chic type Guylain sache-le.

- J’sais, je sais.

- Alors laisse-moi t’aider. Que fais-tu donc ?

- Des waufres*, j’offre mes gaufes à dal famile pis in échanche, i m’donne des sous. Té comprins ? »

Voilà bien une façon rusée d’obtenir de l’argent ; l’idée est à creuser avec des crêpes se dit Gabou. Loin d’être un fier-à-bras, il proposa ses services comme simple commis. Guylain était le chef d’orchestre d’une symphonie gourmande que Gabou, avec ses ustensiles, exécutait en mesure. Puis l’entracte arriva et la pâte fut mise au repos. Guylain et Gabou en profitèrent pour préparer leur sac, grosso modo tout l’attirail de l’esquimau en promenade dominicale : manteau doublé, gants fourrés, écharpe tricotée et bonnet molletonné. L’entracte terminé, nos deux compères voulurent savoir le dénouement de la symphonie gourmande. Sous les yeux écarquillés de Gabou, Guylain graissa son gaufrier et y versa délicatement une louche de pâte. Puis lorsque la pièce embauma la boulangerie du petit matin, Guylain et Gabou se regardèrent pour savoir qui serait l’heureux goûteur. Guylain garnit sa première gaufre d’une crème faite de cassonade et la présenta à Gabou qui eut le privilège de savourer la première comme salaire pour service rendu. Guylain, en tant que chef, se récompensa également. Gabou voulut approfondir le goûtage mais Guylain lui demanda d’être patient car son oncle et sa tante, à qui il devait rendre visite, n’en mangeaient très peu et que donc, la quasi-totalité des gaufres devraient leur revenir. Puis nos souris se couvrirent pour se rendre au centre du village chez son oncle Nanar et la tante Blanca. Tout se passa comme Guylain l’avait prévu, l’oncle est la tante n’avaient pas le même appétit que Gabou et Guylain qui purent faire un sort définitif aux gaufres. Puis Guylain raconta comment il rencontra Gabou qui enchaîna sur son aventure maritime. L’oncle et la tante écoutèrent bouche-bée  son surprenant récit. Eux aussi avaient trouvé quelque chose sur la plage : un chapeau qu’ils avaient mis à sécher au coin du feu. La tante, heureuse de sa nouvelle coquetterie, le présenta à ses invités et Gabou reconnut le chapeau de Nina, celui qu’il avait offert pour son anniversaire. Voilà qui est surprenant et encourageant, il y a peut-être encore d’autres indices à récupérer sur la plage ou mieux encore Nina en personne. Alors, Gabou et Guylain s’empressèrent de finir le café Lysor* pour enchaîner galopins* et canons*. Après ce plein de carburant, nos souris retournèrent sur la plage plein d’énergie. Après de bonnes gaufres quoi de plus naturel que de mettre des ‘bons’ partout et c’est sous les « bon bièpe*, bonne chance, bon voïache, bon artour ein Bertane.» que Nanar et Blanca saluèrent nos ch’tites souris.

Ces dernières légèrement in guinse*, foulèrent le sable blanc de Wissant à la recherche du moindre indice. Guylain voyant son compagnon rêvasser lui dit :

« - Allez Gabou dépêque-te ! 

- J’ai le vent dans l’dos c’est super, j’ai l’impression d’être une souris volante.

- Eh oui, ichi chez un indrot duss* ches jones is font dal planche, du skit surf et pis plein d’autes cosses qui t’alottent* tin coeur. »

- Alotte, ça veut dire quoi ?

- Secouer. J’ay un moyen mnémotechnique : ‘les totottes alles alottent.’

- J’aime ta pédagogie professeur ; et ça Guylain, c’est quoi qui arrive sur nous ?

- Satibleu*, ch’est un char à voile qui arrive à toute berzingue ! Fais attintion à ti si té ne veux pos finir en crâpette*. »

Le char à voile passa au raz des moustaches de Gabou qui eut juste le temps de faire un bond en arrière et de ramasser sa queue. Décidément que d’émotion ; mais une souris avertie en vaut deux et Gabou apprit à faire face au danger. Après plus d’une heure de recherche sans résultat Guylain s’écria :

« Artournons à mason, in va préparer nos affutiaux* pour parti à l’arcache* ed Nina. »

- Nos affaires ? Tu ne plaisantais donc pas alors quand tu parlais de venir avec moi ?

- Bin-sûr que non ! J’vas pons t’abandonner fiu*, j’ai invie de vir à quo qu’alle arsanne* tin top model.

- Fiu ! Ca veut dire quoi ?

- Ca veut dire qu’in est copain  et que les copain-ye*, ca sert à aider.

- Merci Guylain je n’oublierai jamais ce que tu fais pour mi. »

Cette amitié grandissante avait donné des ailes à nos compagnons qui passèrent la fin de la journée à courir dans tous les sens pour fignoler leurs préparatifs. Demain, ce sera sans doute le début d’une grande aventure. La nuit arriva bien vite en ce mois de janvier et Guylain accompagna son hôte dans la chambre d’ami qu’on appelle ici « la chambre des garçons ». En cette saison les nuits sont fraîches alors en parfait hôte, Guylain prit le soin de placer une brique chaude dans le lit d’amis. Le ventre bien rempli et les pieds au chaud, il ne restait qu’à Gabou de faire de beaux rêves. 

 

 

Aides pour la compréhension :

Mettre le bon an : envoyer ses vœux de bonne année

doupe : argent   ancienne monnaie : le double denier tournois                           beson* : besoin

J’vas à Gàrdincourt, huit jours dins min gàrdin et huit jours dins m'cour : Je m'en vais à Gardincourt, huit jours dans mon jardin et huit jours dans ma cour !    Expression utilisée lorsqu'on ne va nulle part en vacances

Beaucoup de village se finissent en ‘court’ dans le Nord pas de Calais.

gaufre du Nord :  la Molléhaufe ou Gaufre flamande est une gaufre fine, de forme ovale.

Elles sont préparées pour le nouvel an, jour des étrennes, et elles étaient offertes aux personnes qui visitaient leur famille.

Le sucre du fourrage peut être mélangé à du beurre ou dilué au rhum, mais doit être épaisse, pas liquide.

séquoi : quelque chose    ‘un je ne sais quoi’                              café Lysor : café ch’ti du Nord

galopin : Petit verre de bière (12,5 cl)                                         canon : petit verre sans pied de vin rouge

bon bièpe : bon soir                                                                  in guinse : légèrement ivre

duss : où                                                                                 arcache : recherche      

satibleu :                      (juron)                                                  crâpette* : crêpe

affutiaux : affaires                                                                    l’arcache : la recherche

fiu : fils  dans le sens d’ami                                                       copain-ye : le ‘in’ fait ‘ye’

arsanner : ressembler

 


20/11/2016
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