Banque chtimi : une banque de mots chtis

Capitre3: Episode 20

Chapitre 3

 

Episode 20 :  Escale à  Escalles

 

 

Nos souris sont d’humeur joyeuse. Les bruits de la nature donnent l’envie à Guylain de fredonner : « Cordéonneux, mi j’suis toudis joyeux ! Soirs et matins, ej’fais dinser les gins ! »

De ce fait, la route passa vite et très vite, nos souris arrivèrent à un hameau composé de quelques cences* et de quelques maisons côte à côte. Au pignon de l’une d’elle, Guylain propose de s’asseoir une coupe de temps* sur une pierre bleue* histoire de souffler un peu. Une belle demoiselle vint à passer par là. Nos souris la saluèrent d’un signe de la tête et continuèrent de la suivre du regard. Le sourire grivois de Gabou, n’échappa pas à Guylain qui s’adressa à son vicieux camarade en ces termes :

« Deux yux qui voent un biau tchul, ne valent pas unne main qui l’touche. »

Puis mine de rien, Guylain sort son couteau noir* et commence à l’affuter sur la pierre. La pause dura assez longtemps si bien que Gabou demanda :

« Alors Guylain que fait-on, on repart ? Et Guylain répondit :

« Moyennemint va partout bin*. »

Sans doute que ce dernier attendait, lui aussi, le retour de la belle. Voyant que cette dernière ne repasserait pas et que son couteau était suffisamment affuté, nos deux complices reprirent la route. Un chemin en sable et de cailloux s’offrit à eux et les conduisit à nouveau sur la plage. Pas peu fier de montrer sa région, Guylain enseigne à Gabou le nom des plantes et des oiseaux qu’il connaît. Mais c’est sans doute dans la blagounette ou la chansonnette qu’il est le meilleur. Dès qu’ils se sentent assaillis par une vague le voilà qui chante « Quand la mer monte » de Raoul de Godewarsvelde :

« Quand la mer monte

J'ai honte, j'ai honte

Quand ell' descend

Je l'attends

A marée basse

Elle est partie hélas

A marée haute

Avec un autre. »

Gabou l’interrompit le concert et en montrant du doigt les falaises à l’horizon, il s’écria :

« Quelle est cette île au loin ? 

- Ch’est l’Ingleterre min tchiot boubourse, chou té vos ch’est les côtes inglaisses.

- Boubourse ? Qu’est ce que cela veut dire ?

- Cha veut dire « simplet » mais c’est pon méquant j’te rassure.

- Ah bon et donc l’Angleterre est si près que ça ?

- Eh oui, y a pas plus près qu’ichi ; ch’est Blériot qu’i l’a démouté*. Ch’est li qui a passé le « pas » enfin le « détroit » quo car le « pas » de Pas de Calais veut dire tout simplement ‘détroit’.

- Bin ça alors !

- Et, ch’est pos tout* ! Asteur, in peut traverser sur la Manche par ferry ou bin par tunnel. Imagine un énorme trew d’souris  sous tes pieds !

- Il y a des souris qui habitent dans ce trou ?

- T’es braque* ti, pinse un pew à chou qu’cha coûterot un cauffache. Car el côte d’Opale ch’est pos el Côte d’Azur d’ailleurs ichi in dit : « Quind in vot les côtes inglaises, ch’est i f’ra mauvais timps. »

- Et quand on ne les voit plus ?

- Ch’est qu’i f’ra pas biau non plus. »

Après une longue marche, nos marcheurs arrivent fatigués à Calais chez Ferny un camarade d’enfance de Guylain. Ces deux compères ne s’étaient pas vus depuis des années et puisque c’est le mois de janvier, ils se souhaitent leurs vœux à la manière des gars d’ici.

« Boenne année, boenne sinté et plein d’argint dins porte-monnaie*, lance Guylain à Ferny.

- Marchi et pis parel pour ti : bonne année, bonne sinté et pour l’in prochain tout autint. »

Ces deux compères se serrent dans leurs bras et se mentent ouvertement en affirmant qu’ils n’ont pas changé et qu’ils sont toujours les plus beaux de la Terre. Ferny est sans emploi depuis que les industries textiles sont touchées de plein fouet par la concurrence asiatique. Ce dernier se surnomme sans complexe comme « Joqueux à babène* ». Enfin, la région est dynamique, et Ferny ne désespère pas retrouver un emploi, dans le transport maritime ou le tourisme par exemple. Puis la conversation porte sur Guylain qui est présenté à Ferny comme un miraculé des eaux, arraché à sa terre bretonne. Ce qui surprend le plus Gabou c’est que les deux loustics s’appellent par des drôles de noms : « Ti t’es un vrai maqueux d’saurets* » et l’autre lui répond : « Té ne t’es pons ravisé* espèche ed boïaux rouches*».

C’est ainsi qu’on s’appelle d’un village à l’autre, par des petits sobriquets moqueurs. Il fut un temps où il fallait faire attention à ce qu’on faisait sinon on vous collait à vous et tout le village et pour des centaines d’années, un sobriquet  impossible à enlever.

 

Aides pour la compréhension :

cense : ferme                                                                          pierre bleu : pierre du Nord

couteau noir : couteau en ében du mineur          

« Moyennemint va partout bin. » : Qui va doucement va loin. « Qui va loin ménage sa monture ».

démouté : démontré                                                                 tout : le ‘t’ final se prononce en toute

braque : fou                                                                             coupe de temps : un instant      

monnaie : se prononce monnay

Joquer à babène : Utilisée dans les usines de textiles. L’expression signifie ne pas avoir de bobine pour continuer à travailler, c’est-à-dire attendre. Joquer : chômer.

ravisé : régardé                                                                       

maqueux d’saurets : bouffeur de harengs                                   boïaux rouches : boyeaux rouges

 

 


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