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Episode 19

Episode  19 :  Le cheval boulonnais

 

Nina et Ernestine ont passé une bonne mais courte nuit au camping. Nina a peu dormi étant donné son état d’excitation. Ernestine, quant à elle, n’a pas mieux dormi car sa voisine a été promu au grade de scieux ed raccourche*. De plus, il est à noter que les cailloux qui jonchent le sol, sont autant de petits pois* pour des princesses comme elles. Elles savaient désormais que Gabou était bien vivant et bien accompagné par un brave au nom de Guylain. De plus Nina savait que ces deux compères étaient à leur recherche, si ce n’est pas de l’amour cela ? Alors il n’y avait pas une minute à perdre, il fallait se rendre à Wissant pour essayer de glaner d’autres indices. Encore mal réveillée Nina boutonna Paul avec Pierre et Ernestine mit son t-shirt à l’envers. Puis Elles s’empressèrent de faire leurs bagages et de reprendre la route pour Wissant. Tôt le matin, nos souris ont revêtu leur ciré jaune. Aujourd’hui le ciel est mitonné et laisse échapper, à intervalles réguliers, des trompes d’eau.

Ernestine passe son temps à dire « Vinguette, incore eune arée*, cha n’arrête pos. »

Auquel Nina répond par : « Ce n’est pas toi qui m’a appris que c’était du temps de bon Diu mais que ce n’était pas son meilleur. 

- Bin oui, répondit Ernestine, et après c’timps là, cha sera l’autre, pis après l’aute, cha sera l’aute et ainsi de suite. »

Ces petites ondées ont fait apparaître çà et là, des surgeons d'eau donnant à ce paysage de bocage boulonnais, des airs de montagnes alpines. Non loin de Tardinghem*, nos souris longèrent une belle ferme avec son pignon en dent de scie où se trouvait un vieux cheval boulonnais attaché devant son auge. Celui-ci faisait une triste mine ; pourtant, ses propriétaires l’avaient affublé de décorations. Intriguée, Nina lui dit d’un ton quelque peu moqueur:

« On s’est fait bieu mon canasson ? »

Le cheval tourna la tête à l’opposé et souffla bruyamment dans ses narines comme s’il avait été gêné par une mouche.

Ernestine chuchota à l’oreille de Nina :

« - Si in li metteut eune pleume à sin cul, cha frot un bel osiau !*

- Trop drôle, répondit Nina. »

Tout en essayant de garder son sérieux, Ernestine renchérit :

« Nan mais ise-le*; in direut qu’i part aux folies bergères ! »

Puis s’adressant à nouveau au cheval, Nina le questionna :

« Le carnaval c’était hier, vous êtes en retard ! »

Le cheval un peu excédé de voir qu’on se payait sa tête, répondit d’un ton sec :

« - Non, je vais à Samer pour la fête de la fraise.

- Ah bon ? Mais c’est super ; tout le monde aura les yeux sur toi ? Pourquoi fais-tu la tête alors ? »

Alors le cheval prit un air de chien battu et leur déclama sa plainte :

« Eh bien, je voudrais être libre comme vous les souris. Les chevaux, on les exploite dans les champs ; les vaches, on leur prend leur lait et leurs veaux ;  les lapins sont élevés pour leur viande comme les moutons  et les poules, on récupère leurs œufs et ensuite on les met au pot. Mais vous les souris, on vous laisse tranquille. Vous êtes les plus chanceuses du règne animal.»

Cette dernière phrase laissa nos souris sans voix. Nos souris essayèrent bien de lui montrer les côtés positifs de la vie d’un cheval et les points négatifs de celle des souris mais rien n’y changea.  Puis le cheval, la larme à l’œil, leur demanda :

« -Emmenez-moi avec vous, je vous en supplie.

- Commint, répliqua Ernestine, ah non cha va pos ête possipe ?

- Je serais discret, je vous le promets. » 

Mais Nina, émue pas le cheval, convainquit Ernestine d’accepter et de le prendre à l’essai. Alors nos souris lui cisaillèrent son cordage qui le maintenait prisonnier et montèrent sur son dos. Celui-ci se mit aussitôt au triple galop et quitta vite la ferme. Le bruit des sabots sur le pavé alerta les fermiers qui essayèrent bien de le rattraper mais sans succès.

Le cheval, heureux d’avoir trouvé sa liberté, dit aux souris d’un ton beaucoup moins mollasson :

« Grattez-moi la croupe, mon attirail me chatouille. »

Nos souris s’exécutèrent et le cheval lâcha un pet de satisfaction. De ce fait les souris se pincèrent le nez et Ernestine avec ses petites expressions dit : « Fais du bien à un baudet, i t’pétera au nez ! » Puis le cheval arriva aux abords d’un courtillage* ; passant sa tête au-dessus de la clôture celui-ci brouta les légumes et les fleurs semés.

« Arrête ça, lui dirent les souris, ce n’est pas bien de manger le travail des autres.

- Mais j’ai faim, répondit le cheval.

- J’conneus un indrot plein ed tranène* et d’avron*, ajouta Ernestine. » Mais celui-ci n’écouta que son estomac et continua jusqu’à ce qu’une vieille dame sortit la canne à la main. La vieille encore bien énergique vociférait des insultes du type « Miar d’gueva* » et menaçait l’Attila de sa canne. D’une simple ruade, celui-ci s’éloigna, accompagnant son geste une batterie de pets.

Quelque temps après, le cheval se délesta de quelques crottins sans le moindre mot d’excuses. Puis le cheval aperçut un pommier sur un bas-côté et se mit à croquer les plus belles pommes.

« Arrête ça, ces pommes ne sont pas à toi, crache, lui dirent les souris ! »

Mais celui-ci répéta : « Mais j’ai faim, je dois manger. »

Soudain, on entendit dans le lointain, un bruit de moteur qui semblait se rapprocher. Le cheval prit peur et partit dans un blétier*.

« Tu piétines la récolte, pense à nos frères souris qui doivent manger eux-aussi, lui dirent les souris. Il faut rester sur la route.»

Ce dernier répondit que les chevaux utilisés comme voitures ont besoin de carburant. Non seulement il écrasait de ses gros sabots les jeunes plants mais il les arrosait aussi d’une abondante pichate*. Nina, qui se pinçait le nez depuis le début, dit : « Il pète, il crotte, il pisse, il vole et il saccage ; notre nouvel ami n’a aucune classe et manque de discrétion. »

« C’est bien vrai, en plus, in est alloté* et pis in va s’perte aveuc li. »

Un ensemble de voitures approchèrent et bloquèrent toutes les issues possibles. Un paysan muni d’un cordage s’approcha de la bête et  lui  dit :

« Tout doux Crado, tout doux. » Voilà un prénom qui lui collait bien à la peau. Nos souris voyant la situation mal engagée, quittèrent le dos du cheval par l’arrière c'est-à-dire par la queue encore fumante et odorante.

Crado leur dit :

« -Ne m’abandonnez pas les filles, j’ai besoin de vous.

- C’est pas possible Crado, tu dois aller à Samer. Tu as besoin d’avoir un maître pour ne pas faire de bêtises.

- Mais je n’aime pas mon maître.

- Alors fais-le lui savoir.

- mais comment ?

- Continue à être discret : pète, crotte, pisse et bouffe ce qui te chante. »

Sur ces pauvres conseils, nos souris s’éloignèrent et reprirent leur route. De ruade en ruade, le pauvre cheval les avait déposées sur la route de Marquise.

 

Aides pour la compréhension 

scieux d'raccourche : scieur de bois de chauffage ; se dit de quelqu’un qui ronfle très fort

petit pos : un clin d’ail à la princesse petit pois

arée : ondée, averse de courte durée   se prononce aray

Ghem :  se prononce ‘gan’ à l’origine c’était un territoire militaire

Si in li mettot eune pleume à sin cul, cha frot un bel osiau !

Lorsque l'on voit une personne habillée de façon ridicule !

Ise-le : regarde-le                                                                                 courtillage : potager

tranène : trèfle                                                                                     avron : orge sauvage

blétier : champ cultivé de blé                                                                miar d’gueva : bordel de cheval

pichate : pipi                                                                                       alloter : secouer


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