Banque chtimi : une banque de mots chtis

Chapitre 2: Episode 10


Episode 10

Chapitre 2

Episode 10 : Le débarquement de Nina

Nina et Ernestine

 

Quelques jours auparavant, Nina finissait sa longue croisière en solitaire sur les rives de la côte d’Opale. Elle venait de passer la nuit la plus effrayante de toute sa vie, croyant à plusieurs reprises sa dernière heure arrivée. Elle s’était battue pour ne pas finir dans les abîmes de la Manche en écopant de toutes ses forces l’eau du ciel et de la mer qui s’étaient associées pour faire de sa barque une baignoire. Devant tant d’efforts, elle finit par capituler et à bout de force s’endormit dans sa barque. Au petit matin, quelques mouettes bien matinales l’avaient tirée de son sommeil prenant son embarcation pour un petit bateau de pêche et espérant, sans doute, récolter quelques tripes de poissons. Ainsi, toute était redevenu calme et Nina eut de la peine à écarquiller les yeux tant la lumière du jour était éblouissante. A l’ouest, la mer à perte de vue mais à l’est, elle aperçut le rivage avec toute une partie sauvage de dunes et une partie urbanisée des immeubles balnéaires du Touquet. N’ayant plus de rame, elle se laissa guider par les flots qui l’entraînèrent dans l’estuaire de la Canche pour l’échouer au port d’Etaples-sur-Mer. Elle tira alors son bateau pour le mettre hors des flots puis elle s’assit sur le sable et s’adossa sur la coque pour faire le point sur tout ce qui s’était passé. Quel horrible voyage ! Tous ces événements l’avaient fatiguée, affamée et assoiffée. Mais il y a pire, qu’est-il arrivé à son compagnon de route Gabou ? A-t-il eu autant de chance qu’elle ? Une Bretonne ne se laisse pas abattre si facilement, alors Nina se ressaisit et se remit sur ses pattes. Il s’agit dans un premier temps de reprendre des forces et se mettre à la recherche de son capitaine abandonné.

« Tiens là-bas, quelques maisons de pêcheurs. J’y trouverai bien un brave qui pourra me renseigner » se dit-elle.  Il s’agit bien de maisons de pêcheurs car l’habitat est assez simple mais pourtant, elles ne ressemblent pas à celles qu’elle a déjà vues dans son Morbihan natal. « Serais-je arrivée en Cornouaille ? » pensa-t-elle. Mais un peu plus loin, sur la digue, elle distingua une souris munie de tout son attirail du pêcheur à crevettes à pied : un haveneau presqu’aussi grand qu’elle, une hotte en osier et un trieur de fabrication maison. Alors elle lui fit des grands signes. La pêcheuse intriguée, interrompit vint à sa rencontre puis à sa hauteur, elle lui demanda :

« - Alors ma loute*, quo qu’t’as pêqué ?

- Comment ça piqué ? Je n’ai rien piqué du tout, ce bateau a été loué par mon ami.

- Non, pas chà, j’veux dire t’as prins* des pichons ?

- Des boissons, non je n’ai rien à boire.

- Oh ti, t’es pons dalle région d’où qu’té restes em file*?

- Où je reste ? Je ne comprends vraiment rien !

- ‘Rester’ veut dire ichi ‘habiter’, alors où  t’habites ?

- Je viens de Vannes en Bretagne.

- Vindious, i n’a pus pichons par là-bas ?

- Non, c’est pas ça ! C’est que moi et mon ami avons été pris dans une tempête en mer la nuit passée et … »

Nina ne put continuer sa phrase et se mit à pleurer car l’émotion était encore bien forte dans son petit cœur de souris. Pour elle, les choses n’avaient pas été trop mal : elle était saine et sauve. La tempête l’avait juste trempée et secouée un petit peu. Elle n’avait rien perdu si ce n’est son chapeau.

« Dis rin, té vas v’nir amon* Ernestine, pis Ernestine, alle vas s’occuper d’ti.

- Merci Ernestine, moi c’est Nina.

- Dis-me Nina, té minges ches sautrées* ?

- Des sautrelles, mais ça ne se mange pas !

- Té confonds avec ches criquions*, ichi ches sautrées ch’est des crevettes.

- Décidemment je ne comprends rien à ton language.

- Ch’est qu’ichi, in pale ch’timi, un vieux Franços.

- Ch’timi, je croyais qu’on parlait breton en Cornouaille 

- Cornouaille? Douc ch’est cha ? Ichi t’es pons in Cornouaille mais à Etaples dins Pas-d’Calais.

- Etaples dans le Pas-de Calais ! »

Envahie par trop d’émotion, Nina s’évanouit. Ernestine alla chercher un peu d’eau de mer et lui aspergea le visage pour qu’elle retrouvât ses esprits. D’un ton désespéré, Nina reprit :

« Le Nord Pas-de-Calais ! Mon Dieu ! Moi qui suis partie sans mon anorak et mes polaires ?

- Bin pourquo faire ? »

Ernestine rassura Nina en lui expliquant que le Nord-Pas-de-Calais et le Morbihan sont des régions voisines. Nina, mauvaise en géographie, le crut et cette nouvelle lui redonna le sourire. Un silence s’installa et nos souris se regardèrent pensives. Puis Ernestine dit :

- Té vas goûter mes sautrées et d’arposer chez mi.

- D’accord chef. »

Après avoir arrimé la barque à un corps-mort abandonné, les deux souris regagnèrent la digue ensemble en direction de la demeure d’Ernestine. Cette dernière habitait avec un frère, non loin du port dans une petite maison de pêcheur assez basse perdue avec ses semblables dans une route assez étroite. Son frère n’était pas là, il était parti sur son chalutier braver la mer du Nord à la pêche à la morue. Il y avait sur la table une part de galette des rois qui l’attendait pour son retour. La part du bon Dieu a été, quant à elle, engloutie depuis bien longtemps. C’était une maison où, elle et sa fratrie, avaient grandi simplement sous le regard bien veillant de ses parents et de ses grands-parents. Elle qui était l’aînée, avait hérité de la maison familiale après avoir accompagné ses parents dans leurs vieux jours. Quant à ses frères et sœurs, ils étaient partis courir le monde pour y trouver fortune sans doute. Aussitôt arrivée, elle chargea son poêle à bois de quelques bûchettes et  alla chercher quelques vêtements secs pour son hôte. Ensuite, elle prépara une soupe de crevettes et, en attendant que celle-ci soit chaude, elle vint s’asseoir à côté de Nina.

« Aveuc tout chà, té m’as toudis pas dit commint t’es arrivée ichi ?

- Eh bien voilà, je vais tout te raconter. J’étais en croisière avec mon ami Gabou.

- Ch’est qui ch’ti-lal ?

- Gabou c’est mon gruyère à moi, il est à croquer.

- Oh oh madame est amoureusse !

- Je crois que oui, il faut dire qu’il est trop mignon. »

A ces mots Nina rougit, il est vrai que Gabou représentait tout pour elle. Encore émue de ce qui s’était passé, elle ne put retenir quelques larmes qui coulèrent sur ses petites joues roses. Touchée, Ernestine lui donna son mouchoir car elle se doutait bien qu’un drame s’était produit.

« - Té vas l’arvir* tin Gabou, lui dit tendrement Ernestine, mais alors qu’est-ce qu’i ch’est paché ?

- Eh bien voilà, pour le nouvel an, Gabou m’invita à faire le tour de la Bretagne en bateau de Vannes à Saint-Malo, les croisières ça m’a toujours fait rêver. Ce jour-là, il me faisait trop rire dans son petit costume de capitaine trop petit pour lui, je vois encore le bout de ses manches qui lui arrivaient aux coudes.

- Monsieur jueut* ches jolis cœurs !

- C’est bien vrai, monsieur Gabou faisait son fanfaron, le prestige de l’uniforme sans doute. Ceci dit, il y avait de quoi : il avait tout prévu : petite musique douce, repas romantique, tout sauf de regarder le bulletin météo du jour.

- Vinguette cha ch’est pons prudint et alors quo qui s’est passé ? s’enquit Ernestine impatiente de connaître la suite.

- En peu de temps, le ciel s’obscurcit, le vent se leva et les vagues se firent de plus en plus menaçantes. Nous fûmes pris dans une énorme tempête de mer, des éclairs luisaient dans la pénombre du ciel. C’était la panique à bord, nous étions en pleine détresse, alors …

- Alors ? reprit Ernestine.

- Alors, Gabou le cœur vaillant décida de lancer une fusée de détresse mais il ne put pas car …

- Car ? »

Nina se mit à pleurer toutes les larmes de son corps car la scène était encore bien présente dans sa mémoire : son prince charmant, ou plutôt son capitaine charmant, avait été emporté par-dessus bord par une déferlante. Les souris du littoral habituées à ce genre d’événements connaissaient très bien l’issue de ce type de situation. C’en était assez pour aujourd’hui, il était temps d’aller se coucher. Ernestine posa la main sur l’épaule de sa naufragère en signe de compassion et Nina se jeta toute sanglotante dans ses bras. Cette dernière exténuée s’y endormit.

 

Aides pour la compréhension :

loute : terme affectif qu’on donne aux petits enfants                               prins : pris

file : fille                                                          sautrées : crevette grise  appelée ainsi du fait qu’elles sautent

criquions : criquets                                           amon : chez

arvir : revoir                                                     jueut* :jouait

 


20/11/2016
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