Episode 3
Solenval à Wissant
Le béôbô de ch’timi
Après ce petit périple, les deux nouveaux amis arrivèrent à destination. Guylain habite dans les recoins d’une belle villa à deux pas de la mer. Du salon, on peut l’observer sans mal et prendre des nouvelles d’elle.
« -Sois l’bienvenue à Solenval *! T’es ichi chez ti ! dit fièrement Guylain heureux locataire, ou plutôt squatteur, d’une belle villa balnéaire 1900.
- C’est vraiment un endroit charmant ici. Il y règne une atmosphère douce et tranquille. Et puis tout est tellement beau.
- Il faut dire « biau » car le « e.a.u » se prononche « iau ». En tout cas, ch’est vrai chouc* té dis. Ch’t indrot est un coin d’vagances. Les gins is viennent ichi pour s’arposer pis pour prinne* du bon timps aveuc chal plache à côté pis tout l’reste. C’t’mason est eune mason d’famile et chaque ennée, y a toudis des jones qui viennent ichi n’dins.
- Eh bien, ils en ont de la chance ces « jones ».
- Ouai, mais is n’viennent que pour ches vagances* alors que mi, ej chus là toute l’ennée. »
Gabou observa les moindres recoins de la pièce de vie ainsi que son interlocuteur qui le surprend de plus en plus avec son accent peu commun et son parler bien particulier.
Guylain reprit :
« In discutera tout cha plus terd. Ravises-te ! T’es tout fraique* et té tranes* comme eune feule*. Donc chou* té vas faire, ch’est ed canger*. Pis mis, j’vas alleumer un fu* pis t’concocter un roustintin, cha va t’arquinquer min bonhomme.
- Un roustintin, qu’est-ce donc ?
- Ch’est un chocolat caud aveuc eune tite gutte in dins.
- caud ? Tu veux dire chaud ?
- Oui ichi, el son « ch » i prononche souvint « k » comme « cauchons » pour chausson, « pêque » pour pêche. »
- D’accord, alors je dois dire : « Je vais mettre à sécher mes cauchettes, ma quemise, ma culotte et mon pantalon ? ».
- Volà ch’est bin. Mais in dira plutôt « eum maronne » pis « eum tchulotte » mais garde-la su ti, ichi ch’est interdit aux nudistes.
- Ha ha atchoum !
- A tes souhaits mon coco, j’cros bin t’as attrapé un rute chiferné*.
- un chiferné ?
- un rhume quo !
- Il me semble qu’en Bretagne le rhume se dit pareil.
- Ah, in est donc fait pour s’intendre alors. »
Alors, pendant que Guylain prépara son feu pour apporter un peu de chaleur à son Moïse, sauvé des flots, Gabou de son côté, enleva ses vêtements mouillés et en enfila d’autres que gentiment lui prêta son hôte. Puis il alla se réchauffer près du feu crépitant et sifflant. Petit à petit, ses joues retrouvèrent leurs couleurs et les frissons l’abandonnèrent peu à peu. Quant aux éternuements, ils devinrent de plus en plus forts et de plus en plus rapprochés. Guylain tout heureux d’avoir un invité surprise, s’occupa en cuisine pour préparer un bon roustintin, digne de ceux qu’on donnait aux marins à leur retour en mer.
« Alors, té al coyette* ? Té vas beoire cha, cha va t’arquinquer pis après té vas m’raconter commint t’es arrivé ichi.
- C’est quoi l’alcool que tu as mis dedans ?
- Ch’est du genief, un tit alcool du pahi, ch’est-i bon ?
- Hum ! oui mais un peu fort.
- Bin des fos, ej mets plus ed genief euq d’chocolat. Infin vaut miux cha que du jus d’cauchettes énon* ?.
- Ca donne un coup de fouet.
- Ch’est l’effet arquerqué*, pis in général, i faut minger quécosse aveuc. I m’reste des craquelins, aveuc el roustintin ch’est que du bonheux.
- Bonheur, il te manque le ‘r’.
- Dans ch’Nord, in n’aime pas les ‘r’, té l’armarqueras très vite.»
Guylain offrit quelques petits biscuits à Gabou qui les dévora jusqu’à la dernière miette. La bouche encore pleine, celui-ci dit :
« - Hum, c’est petits gâteaux sont excellents ! On dirait nos Palets bretons !
- Cha m’étonnereut ! Des mastelles ch’est pos des craquelins*.
- Comment ? »
L’assiette de craquelins se vida petit à petit laissant place à un concert beat box de « crum» et de « swouf ». Le roustintin et les craquelins chassèrent pour un moment, le terrible drame qu’avait vécu Gabou. Gabou ne s’était jamais régalé autant ; non seulement il avait retrouvé ses forces mais aussi le sourire. Peut-être que le genièvre y était pour quelque chose ! Voyant son invité faire honneur à ses biscuits, Guylain lui dit :
« T’es un rute goulafe comme mi ti ?
- Un rude goulafe, ça veut dire quoi ?
- Cha veut dire un sacré gourmand. Cha m’fait bin du plaisi ed t’vir comme cha. »
Aides pour la compréhension :
Solenval : nom d’une villa sol en val chouc : ce que
prinne : prendre fraique : mouillé
traner : trembler feule : feuille
chou : ce que canger : changer
fu : feu rute chiferné : un sacré rhume
coyette : à l’aise Vagances : vacances
énon : n’est-ce pas (est-ce non ?) arquerqué : recherché
des mastelles ch’est pas des craquelins : expression qui veut dire : ne mélangeons pas tout
craquelin : Petite pâtisserie croquante en forme de 8 . Mastelle : forme de gâteau plat